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Points de vue des citoyens ordinaires
16 mai 2016

CONSEILS GRATUITS AUX ULTRA-RICHES

Avant toute chose, permettez-moi de vous éclairer sur le sens du mot « gratuit », lequel, je l’imagine, ne doit pas vous être familier. Selon l’Académie française, ce terme qualifie ce «qu'on donne, qu'on effectue sans rémunération, qu'on accomplit de manière désintéressée » ou (rassurez-vous) « qu'on reçoit, dont on profite sans qu'il en coûte rien ». Ce sera le cas de ces quelques conseils dont, je l’espère, vous profiterez.

Qui êtes-vous ? Qui sont les ultra-riches ? Je renonce à vous compter et à évaluer votre fortune. Admettons que vous soyez 200000 et que vous possédiez quelques 30000 milliards de dollars (c’est l’estimation déjà un peu ancienne d’une banque, suisse de surcroît). A ce niveau, votre fortune reste pour moi abstraite, incompréhensible ; que pouvez-vous faire de votre argent, voilà une question à laquelle je n’ai pas de réponse. Mais il ne s’agit pas de moi, mais de vous, et de ce que vous voulez, c’est-à-dire vous séparer de nous, les pauvres.

On parle d’un mouvement de sécession des riches, et d’abord, évidemment, des ultra-riches, signifiant par cette image la distance que vous mettez entre vous et nous, les gens ordinaires. On vous le reproche, mais, à la vérité, quoi de plus normal que cette sécession ? Ainsi, vous mettez beaucoup de soin à payer le moins d’impôt possible (et, même, pour beaucoup, pas d’impôt du tout). Mais en quoi auriez-vous besoin de routes ou d’enseignement public, par exemple, si vous vous déplacez en hélicoptère et si vous faites instruire vos enfants dans des établissements privés particulièrement onéreux ? Pourquoi payeriez-vous pour améliorer des quartiers où vous n’habitez pas, puisqu’il est bien entendu que vous résidez dans des lieux quasi-interdits aux autres, ne serait-ce que par le prix à débourser pour y louer ou acheter ? Et, dans ces conditions, il est évidemment plus simple de faire en sorte que les rues soient privées, au seul bénéfice des habitants, d’autant que vous ne rechignez pas, alors à en assurer l’entretien (même si vous ne refusez pas les subventions publiques, bien sûr). Nous ne sommes pas du même monde, comme on pouvait le dire il n’y a pas si longtemps. Et vous voulez que la séparation de nos deux mondes soit la plus étanche possible.

En quoi avez-vous besoin de nous ? En rien, pensez-vous sans doute.  Il me semble toutefois que la réponse est plus complexe et tient en trois points. Le premier, et le plus surprenant, touche à l’argent que nous vous versons. Eh oui, votre fortune, c’est notre argent qui la fait, car c’est nous qui achetons les produits ou les services que vous nous proposez, et dont on peut se demander s’ils nous sont toujours  vraiment utiles. Sans pauvres (et tout le monde est pauvre, comparé à vous), pas de riches. Vous avez donc besoin de nous pour continuer à être riches ou ultra-riches, et pour l’être toujours davantage. Observez, je vous prie, que corrélativement nous continuerons donc à être pauvres et à l’être toujours plus.  Vous avez également besoin de services que nous, gens ordinaires, pouvons vous rendre encore, comme d’être vos domestiques ou vos gardiens. Je n’insiste pas sur la domesticité, tant il y là une évidence, davantage sur les gardiens. Vous faites envie, vous le comprenez aisément, et l’envie est mauvaise conseillère. On peut donc en vouloir à vos biens et mêmes à vos vies. Police et armée sont certes utiles, pour vous protéger. Mais on retrouve ici la question de l’impôt : une armée et une police efficace, c’est un impôt élevé. Alors vous n’hésitez pas à vous payer des mercenaires à votre service exclusif. Incidemment, je vous conseille de bien veiller à ne pas dépendre d’un seul groupe de ces mercenaires, qui pourrait bien alors devenir trop puissant et réclamer sa part de vos richesses, cela s’est vu dans le passé. Et puis vous avez besoin de divertissement et donc d’artistes et de musiciens – mais sont-ce encore des gens ordinaires ? Il me semble que vous êtes prêts à les admettre dans votre intimité, et il est vrai que certains d’entre eux sont devenus à leur tour des ultra-riches.

En définitive, ce besoin que vous avez de nous ne nécessite pas ou peu (pour les services domestiques) une coexistence physique. On comprend, alors, votre souci de rester entre vous, de vous séparer de nous, les gens ordinaires. Mais comment faire ? Vous pourriez élever des murs entre  vos quartiers ou vos territoires et le reste du monde, mais je comprends votre répugnance devant cette solution vulgaire, tout juste bonne pour des communistes d’Allemagne de l’Est. Et puis, à la vérité, établir une frontière, pour des partisans du libre-échange (car vous êtes partisans du libre-échange, n’est-ce pas ?), cela ne fait pas très sérieux. Non, il vous faut des solutions plus subtiles, qui permettent un splendide isolement que chacun (ultra-riche et même pauvre) trouvera justifié.  Et c’est là que je voulais en venir, pour vous suggérer une solution que Jules VERNE (oui, cet auteur français de la fin du XIX° siècle qui a encore quelques lecteurs) a imaginé dans un roman bien oublié, l’Île à hélice. Je suppose que vous n’avez guère le temps de lire et que vous ne connaissez donc pas ce roman. C’est dommage, car vous avez là un modèle de ce que vous pourriez faire.

L’île de Jules VERNE est une île artificielle, gigantesque (27 km2), où ont été installés une ville centrale, qui occupe environ 5 km2, et des espaces ruraux, « où les champs, livrés à la culture intensive, abondent en légumes et en fruits, où les prairies artificielles servent de pâture à quelques troupeaux », grâce à une épaisseur de terre végétale. Je ne vous décrirai pas les caractéristiques techniques de cette extraordinaire construction, qui, j'imagine, sont tout à fait dépassées. En revanche, l’organisation  juridique, économique et sociale de Standard Island (c’est son nom) mérite l’attention.  L’île est la propriété d’une société commerciale, qui en assure l’administration, et par exemple nomme son gouverneur (et qui peut faire des bénéfices, songez-y). Cette propriété s’étend donc aux constructions édifiées sur l’île, qui sont donc louées à leurs occupants. Et c’est là une idée de génie : car les loyers sont élevés, au point d’atteindre parfois plusieurs millions de dollars par an. Dès lors, les seuls habitants de l’île sont  « des Américains invraisemblablement riches, auprès desquels les souverains de l’Europe et les nababs de l’Inde ne peuvent faire que médiocre figure ». A preuve, le nom de cette ville centrale : Milliard-City. Certes, il y a des locations d’un prix inférieur, mais auxquelles ne peuvent néanmoins prétendre que des gens fortunés. En somme, Standard Island est réservée aux riches et, surtout, aux ultra-riches, et à ceux qui sont nécessaire à leur vie (domestiques, bien sûr, mais aussi agents techniques et administratifs, et forces de protection). Au total, une dizaine de milliers de personnes. Les autres, tous les autres, sont interdits de séjour.

J’oubliais : Standard Island n’est pas une stupide île artificielle comme peuvent l’être celles à partir desquelles on extrait aujourd’hui le pétrole en mer. Non, c’est en réalité un immense navire, qui permet à la population milliardaise de choisir le climat dont elle veut bénéficier. La richesse a vaincu l’aléa climatique !

Rien ne vous empêche de mener à bien la construction de quelque chose d’analogue et de réaliser ainsi pleinement votre souhait de sécession, votre volonté de vivre entre pareils et d’écarter de vous toute personne qui serait dans l’impossibilité d’acquérir je ne dis pas un tableau de Van Gogh mais même celui d’un Maufra. Vous pourriez mettre en avant des questions de sécurité, par exemple, pour justifier votre résidence dans votre île, et les pauvres comprendraient très certainement. Ni vu, ni connu : sous le couvert d’une pareille justification, votre sécession serait approuvée par tous

Jusque-là, rien qui ne puisse être aisément reproduit du modèle de Jules VERNE., vous en avez les moyens. Mais, dans son imagination, Standard Island offre à ses résidents quelque chose de plus, une indépendance totale, comme si l’île artificielle était un véritable Etat. Vous voyez immédiatement l’intérêt de la chose : un Etat réservé aux ultra-riches, qui ne sont donc pas dans l’obligation de fréquenter la population ordinaire (j’évite le terme de populace, que vous trouveriez sans doute malsonnant, bien qu’au fond il correspond sans doute à ce que vous pensez). Le rêve ! La difficulté aujourd’hui, et sans doute aussi à l’époque de Jules VERNE, est qu’un navire (et, malgré le titre du livre, Standard Island est un navire) doit être rattaché à un Etat, et ne peut être un Etat à lui seul. Je ne vois à cette difficulté qu’une seule solution : achetez un Etat (entendons-nous bien : je ne vous incite nullement à une entreprise de corruption mais à une simple opération commerciale) et, moyennant un prix raisonnable, poussez cet Etat à définir pour votre île-navire un régime juridique particulier qui vous assurera la plus grande autonomie possible, une sorte de quasi-indépendance. C’est tout bénéfice pour les deux parties : l’Etat de rattachement, qui percevra de substantielles redevances (veillez quand même à n’être pas grugés, mais je vous fais confiance la-dessus), et vous, qui achetez ainsi le droit d’être entre vous, celui de nous quitter. Et les règles du droit de la mer, qui semblaient faire obstacle à vos souhaits, ainsi les protègeront. Vos avocats devraient pouvoir concevoir et mettre en œuvre quelque chose de ce genre.

Bien sûr vous veillerez à ce que notre argent puisse vous bénéficier dans cette situation un peu particulière : quelque banque, dans un paradis fiscal, devrait pouvoir vous rendre ce service. Et il suffit de conclure avec l’Etat de rattachement une convention fiscale (on parle de « ruling », je crois) qui vous exonèrera à peu près complètement d’impôt. Ce ne serait que justice, puisque vous acquitterez les frais de fonctionnement de votre île-navire.

Vous voyez, la solution à votre problème existe, Jules VERNE l’avait inventée dès 1895 ! Il me faut toutefois ajouter deux codicilles à ce conseil, et, peut-être, vous inquièteront-ils. Il paraît, tout d’abord, que le livre comporte un sous-titre dont je ne peux imaginer qu’il puisse s’appliquer à vous : les milliardaires ridicules ! Mais un milliardaire ne peut jamais être ridicule, et vous moins encore que ceux de Jules VERNE, n’est-ce pas ? Enfin, et j’en terminerai par-là, les résidents de Milliard-City, à la suite d’une péripétie qu’il serait trop long de raconter, se risquent à la démocratie représentative. Fatale erreur, qui conduira à la perte de Standard Island. Ce régime politique n’est pas fait pour vous, sachez-le. 

 

 

 

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