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Points de vue des citoyens ordinaires
25 mai 2016

DISCUSSION AVEC UN JIVARO SUR LE PRINCIPE DE PRECAUTION

Moi – Bonjour, mon oncle. Tu sembles de belle humeur, aujourd’hui, je m’en félicite.

Mon oncle – Ma foi, oui. Je viens de lire la déclaration d’un homme intelligent, c’est rare.

Moi (taquin)- Aussi rare que ta bonne humeur… De qui s’agit-il ?

Mon oncle – D’un dirigeant du MEDEF qui oppose le principe de raison au principe de précaution ! Enfin quelqu’un ose dire que ce fichu principe de précaution est contraire à toute raison, à tout progrès !

Le Jivaro – Expliquez-moi, je ne comprends pas.

Moi – Eh bien, en 2004, on a introduit dans la constitution l’idée de précaution…

Le Jivaro – Je sais, mais ce que je ne comprends pas, c’est en quoi cette idée est déraisonnable.

Mon oncle (un rien exalté) – Les imbéciles veulent absolument éliminer tout risque, et le résultat c’est qu’on entrave le développement économique et, plus grave peut-être, qu’on bloque la recherche scientifique et le progrès. C’est le signe évident du vieillissement de notre société. Il faut faire éclater  les vieux carcans qui nous étouffent, libérer les initiatives, autoriser les prises de risques, rajeunir, quoi !

Le Jivaro (perplexe) – N’est-il pas naturel de vouloir se tenir à l’écart du danger ?

Mon oncle – Mais si, par exemple, on veut absolument que soit prouvé tout danger avant de commercialiser un produit, on ne le mettra jamais sur le marché ! C’est en cela que le principe de précaution est contraire à la raison !

Le Jivaro (toujours perplexe).- Mais s’il y a un risque à utiliser un produit, l’acheteur doit le savoir. Vous suggérez donc qu’on ne l’avertisse pas du risque qu’il encourt du fait du produit qu’il achète ?

Mon oncle – Pas du tout ! J’utilise de la laque pour fixer mes cheveux…

Moi (moqueur) – C’est vrai, tu es un brin coquet.

Mon oncle (agacé) – Oui… Bon. Sur l’étui, il y a un petit pictogramme …

Le Jivaro – Un pictogramme, dites-vous ?

Moi – Un petit dessin, si tu préfères.

Mon oncle – Et ce pictogramme m’avertit que rapprocher ce produit d’une flamme est dangereux, ça ne m’a pas empêché d’acheter  la laque.

Le Jivaro (songeur) – Oui… Je vois. Au fait, j’ai entendu dire que ce type de produit pouvait causer des maladies professionnelles  chez les coiffeurs. C’est écrit dessus, aussi ?

Mon oncle– Bien sûr que non ! Ça n’est pas forcément le même produit, et puis je n’en fais pas l’utilisation répétée qu’en font les coiffeurs.

Le Jivaro – Admettons que ce soit le même produit, même si c’est faux, juste pour le raisonnement. Ça voudrait dire que vous êtes averti d’un risque mais pas d’un autre. Pourquoi ?

Mon oncle - Mais parce que ce produit ne présente aucun danger pour moi !

Le Jivaro – Qu’en savez-vous?

Mon oncle - …

Le Jivaro – Voulez-vous que je vous dise? Il me semble que le principe de précaution est une simple idée de bon sens. Imaginez …

Moi – Que vas-tu encore inventer ?

Le Jivaro – Imaginez que deux amis, je pense par exemple à nous, sont en randonnée ensemble. Je me blesse, une chute, je ne peux plus marcher. Pas de liaison téléphonique possible. Tu peux évidemment m’abandonner…

Moi (fâché) – Quoi ! Tu crois que je pourrais…

Le Jivaro (souriant) – Ne te fâche pas, j’évoque simplement les différentes possibilités. Tu peux aussi revenir en arrière, mais ce sera long, et mon état t’inquiète (tu vois bien !). Tu peux aussi  suivre la rivière, ce qui raccourcirait ton chemin, mais elle devient souterraine sur une partie de son parcours, et nous ne savons rien de ce parcours, nous sommes de simples randonneurs, pas des spéléo.  Suivre la rivière peut être dangereux, à cause d’éboulis ou de crevasses, ou de tous autres aléas, ou pas. Pour ce que nous en savons, il peut n’y avoir que des plages de sable. Tu décides te tenter le coup.

Moi (finaud) – Je n’oublie pas ma lampe.

Le Jivaro – Nous n’avons pas de lampe. Que fais-tu ?

Moi – Ah ! Dans ces conditions, j’y vais mais, dans la partie souterraine, j’avance prudemment, un pied après l’autre, les mains en avant pour repérer les parois. Tu es certain que je gagnerai du temps ?

Le Jivaro (paisible) – Merci de te lancer quand même, je t’en suis très reconnaissant. Mais tu viens de faire application d’une approche de précaution.


Mon oncle (surpris) – Lui ? Et comment ça ?

Le Jivaro – Eh bien, d’abord, par hypothèse en quelque sorte, nous sommes devant un bénéfice possible, ici, (s’adressant à moi) tu gagneras du temps si tu empruntes ce parcours, et une situation d’incertitude, il peut y avoir des dangers ou pas.

Moi – Jusque-là, je suis d’accord.

Le Jivaro – Ce danger éventuel pouvait te faire reculer. Tu as choisi, bravement, par amitié, d’affronter le danger éventuel. Mais tu es un être raisonnable, tu ne pars pas à l’aventure, tu ne te précipites pas follement, tu cherches, par différents moyens, à obtenir les informations qui te manquent.

Mon oncle – Il me semble que ce comportement est assez évident. Mais je ne vois pas le principe de précaution là-dedans.

Le Jivaro – Et pourtant… Le principe de précaution, ce n’est rien d’autre qu’un mode de traitement de l’incertitude scientifique. Prends l’exemple du bisphénol A ; pour certains son utilisation ne présente aucun danger, ou du moins ce danger n’est pas prouvé, pour d’autres, c’est l’inverse. C’est ce que j’appelle une situation d’incertitude. Autre exemple, plus parlant encore, le glyphosate, qu’une agence internationale classe comme cancérogène probable ce que réfute une agence européenne. Que faut-il faire, dans ces cas-là ?

Mon oncle – On peut l’interdire !

Le Jivaro – Mais qui pestait tout à l’heure contre ceux qui font obstacle au progrès au nom du principe de précaution ?   Ce n’est pas vous ?

Mon oncle (de mauvaise grâce) – Si…

Le Jivaro – On peut aussi faire ce que, tout à l’heure, tu te proposais de faire en suivant la rivière souterraine, chercher l’information manquante, en d’autres termes faire des recherches sur la dangerosité ou l’absence de dangerosité du produit.

Moi – C’est vrai … Mais qui conclura ?

Le Jivaro – Une instance d’évaluation… Et ici, il y a quelque chose de très important, me semble-t-il, c’est la composition de ces instances d’évaluation. Il faut veiller à ce que les experts qui les composent ne soient pas financièrement liés aux fabricants des produits évalués ou qu’au moins les liens, s’ils existent, soient rendus publics.

Mon oncle – Ah, oui, les conflits d’intérêts…

Moi – Mais le principe de précaution ne concerne que les problèmes d’environnement, il me semble. Attends, je cherche le texte… Ah ! Voilà : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » C'est bien ce que tu disais, il y a une situation d'incertitude. Mais, s’il s’agit d’un principe de bon sens, pourquoi est-il limité à l'environnement? Ne devrait-il pas être généralisé ?

Le Jivaro – C’est alors que ton oncle pourrait se plaindre ! Il me semble que l’idée est claire : il s’agit d’éviter des dommages graves et irréversibles à l’environnement, et donc, vous le voyez, pas n’importe quel dommage. Vous ne contesterez pas, je pense, que la technologie moderne peut créer de tels dommages ?

Mon oncle (ennuyé) – N…non.

Le Jivaro – Eh bien, dans ce cas, et dans ce cas seulement, on a prévu que les pouvoirs publics devaient imposer des mesures de précaution. Je ne vois pas qu’il y ait là un sujet d’indignation et de polémique.

Moi – Oui… Mais on a tendance à élargir le champ d’application du principe de précaution, à la santé publique, par exemple.

Le Jivaro – Evidemment. Mettre en vente un médicament qui peut se révéler dangereux, c’est prendre le risque d’un dommage grave et même irréversible, s’il peut causer la mort de certains utilisateurs. Alors, bien sûr, on fait des essais, on donne des autorisations, tout ça ressemble furieusement à l’idée de précaution… Et malgré cela, il y a encore des accidents et des dommages…

Moi (rêveur) – Oui… il y a des exemples récents.

Le Jivaro – Voulez-vous que je vous dise ? Si vous avez trouvé que, dans ma petite fable de tout à l’heure, l’approche de précaution était évidente, c’est que l’appréciation de la conduite à tenir relevait exclusivement de celui qui prenait le risque, ce qui rend les choses plus simples.

Moi (faussement scandalisé)-Suggères-tu que l’on expose directement les fabricants à certains de leurs produits afin d’en évaluer la nocivité éventuelle ?

Le Jivaro (riant) – Je ne suis pas assez cruel pour cela.

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