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Points de vue des citoyens ordinaires
21 février 2016

POINT DE VUE SUR LA REFORME DE L'ORTHOGRAPHE

Dialogue avec un Jivaro sur la réforme de l’orthographe et autres sujets touchant à l’école

 

 

Moi – Peux-tu me donner le gros livre rose, s’il te plaît ? Oui… celui-là, le Grevisse. Merci…

Le Jivaro – « Le bon usage »… C’est un manuel de savoir-vivre ?

Moi (riant) – Plutôt de savoir-écrire. C’est une grammaire de la langue française, l’une des plus connues.

Le Jivaro – Oh ? Un si gros livre ? On y trouve tout ce qu’on cherche, je suppose ?

Moi – Tout, je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’il m’est très utile, et que j’y trouve la solution à mes problèmes de grammaire et d’orthographe.

Le Jivaro – Alors, il me le faut ! Je crois que je parle votre langue assez correctement …

Moi – Je te le confirme.

Le Jivaro – Mais l’écrire est très difficile. Tiens, tout à l’heure, j’ai vu dans une vitrine une affichette qui indiquait des soldes sur des richelieus, c’est-à-dire des chaussures, je crois; je croyais qu’au pluriel les mots se terminant ainsi s’écrivaient avec un x.

Moi – C’est une exception, d’ailleurs contestée.

Le Jivaro – Contestée ?

Moi – Oui, certains auteurs l’écrivent avec un x.

Le Jivaro – Pauvre de moi ! Comment veux-tu que je m’y retrouve ?

Moi (compatissant) –Oui, je suppose que tu as du mal… Selon certains spécialistes, l’orthographe française est l’une des plus difficiles.

Le Jivaro – Je ne sais pas si elle l’est plus que d’autres, je ne suis pas assez savant, mais difficile, elle l’est, oui. C’est pour ça, j’imagine, que vous avez décidé de la réformer maintenant ?

Moi (étonné) – De quelle réforme parles-tu ?

Le Jivaro – Mais de celle qui va intervenir à la rentrée prochaine ! Tu ne le sais pas ? Pourtant, tout le monde en parle, les politiques, l’Académie, les syndicats, tout le monde…

Moi –Mais aucune réforme ne va intervenir en septembre ! S’il y a une réforme, c’est celle de 1990 ! Et l’idée de cette réforme c’est que l’ancien usage et le nouveau sont également admis et que le temps sélectionnera celui qui restera ! Bien sûr, l’usage nouveau (rectifié, dans le langage administratif) est la référence dans les écoles, parce qu’on ne peut pas enseigner deux orthographes contradictoires,  c’est prévu depuis longtemps, depuis 2008 je crois.

Le Jivaro – Mais… je ne comprends pas… Pourquoi cette controverse maintenant, alors ?

Moi – J’avoue que c’est un peu difficile à comprendre. Bien sûr, depuis le début, il y a des gens qui s’opposent à cette réforme – je préfère parler de simplification – et, ma foi, ils en ont bien le droit ! Quand ils disent aujourd’hui de cette simplification tout le mal qu’ils en pensaient déjà hier, il faut saluer leur cohérence et leur persévérance, par exemple quand ils défendent le maintien de l’accent circonflexe. Mais quand certains feignent de découvrir cette simplification, en la mélangeant parfois avec la réforme du collège, ou n’hésitant pas à évoquer la perte de l’identité française,  on peut s’étonner et se demander s’ils n’ont pas quelque arrière-pensée.

Le Jivaro – Et laquelle pourraient-ils avoir, sur un sujet pareil? Tu penses à une arrière-pensée politique, enfin partisane, pour être plus exact ?

Moi (ironique) – Ce n’est pas possible, voyons ! Notre personnel politique est incapable d’agir ainsi ! Tu ne crois pas ?

Le Jivaro – Hum… Une chose m’étonne, c’est que tout le monde en parle et donne son avis. Enfin, j’exagère, pas tout le monde, mais quand même beaucoup de gens. Tiens, ce matin, dans un magasin, je ne sais pas comment c’est venu, mais les clients en ont parlé.

Moi – Et, comment en ont-ils parlé ?

Le Jivaro – Ils regrettaient ce qu’ils appelaient une baisse du niveau, je n’ai pas bien compris de quel niveau ils parlaient.

Moi – Ils parlaient vraisemblablement du niveau des élèves dans les écoles.

Le Jivaro – Ah, ce niveau-là ? Et il baisse ?

Moi – C’est leur impression.

Le Jivaro – Et  ils pensent que c’était mieux avant ?

Moi – Sans doute. Je ne crois pas que les gens que tu as entendu soient familiers des enquêtes PISA…

Le Jivaro – Une enquête italienne ?

Moi (souriant) – Non… C’est une enquête de l’OCDE[1] qu’on désigne sous son acronyme anglais. Tous les 3 ans, elle mesure l’efficacité des systèmes éducatifs. C’est un outil parmi d’autres… Mais si je l’ai évoquée, c’était seulement pour sous-entendre que ces gens n’étaient pas des spécialistes de la question, pas plus, car on ne peut pas tirer grand ’chose de l’enquête pour le sujet dont nous parlons : l’orthographe n’est pas un des critères d’évaluation de PISA. Je suis désolé, j’ai dû te paraître pédant…

Le Jivaro – Et alors, ce niveau ?

Moi (docte)-  Il est possible que le niveau moyen ait baissé, je n’en sais rien. Je crois surtout que cela ne veut rien dire. Pour affirmer qu’il y a baisse de niveau, il faut comparer ; et on ne peut comparer que ce qui est comparable…

Le Jivaro – Voilà une grande vérité !

Moi – Ne te moque pas, s’il te plaît. Tu sais, autrefois, les élèves étaient séparés, avec une filière noble, qui aboutissait à l’Université et aux grandes écoles, et une filière qui se terminait beaucoup plus tôt. Aujourd’hui il n’y a plus qu’une seule école. Comment comparer les niveaux, dans ces conditions ?

Le Jivaro – Oui, je vois. Et on répartissait les élèves entre les deux filières en fonction d’un examen préalable?

Moi – Non. Les enfants des familles les plus riches allaient dans la filière noble, et les autres…

Le Jivaro – Mais c’est injuste ! Il n’y avait pas d’autres moyens que la richesse d’accéder à cette filière noble ?

Moi – Si. Un système de bourse d’études permettait d’aider un petit nombre d’élèves. Et, bien sûr, on les citait toujours en exemple pour montrer que l’école permettait de progresser dans la société. Ce qui était vrai, mais pour certaines personnes seulement.

Le Jivaro – Mais si on accepte l’idée d’une comparaison, un moment, est-elle toujours à l’avantage de l’école d’hier ?

Moi – Mais non ! Nos élèves, aujourd’hui, sont initiés à bien davantage de choses !

Le Jivaro – Il me semble que nous avons changé de sujet, revenons à la réforme de l’orthographe, je veux dire sa simplification.  Qu’en penses-tu ?

Moi – J’ai du mal à croire que l’identité française est menacée parce qu’on n’exigera plus d’écrire que tu viens me voir les après-midi ou les après-dîners (au fait, pour moi c’est égal, tu fais comme tu veux, tu es toujours le bienvenu), ou à une quelconque angoisse existentielle. Incidemment, si l’identité nationale était liée à la langue, nous pourrions être belges, canadiens ou sénégalais. Ne parlent-ils pas français, eux aussi ? Et que penser des Suisses, qui ont plusieurs langues officielles ?

Le Jivaro – Tu trouves que les opposants à la réforme, pardon : la simplification, exagèrent ?

Moi – Tu n’es pas de cet avis ? Je comprends qu’on puisse être hostile à telle ou telle partie de la simplification de l’orthographe, beaucoup moins qu’on la rejette en totalité, et pas du tout qu’on en vienne à ces trémolos …

Le Jivaro – C’est un mot emprunté à une autre langue, n’est-ce-pas, concerné donc par la réforme ?

Moi – Tiens, c’est vrai… Ah, le dictionnaire a déjà intégré l’orthographe rénové. A ces trémolos dramatiques, disais-je. Mieux, même, la réforme invite à franciser les mots d’origine étrangère, ce qui devrait ravir ceux qui parlent de l’identité française. Le goulasch, par exemple, peut aussi s’écrire le goulache.

Le Jivaro – Le mot fait très français pour un plat hongrois, non ?

Moi – Oui… Et c’est peut-être dommage. Mais pourquoi regretter les évolutions de la langue ? Tu sais, la langue de Villon n’est plus la nôtre ; par exemple, comment comprends-tu les premiers vers de ce poème à Marie d’Orléans

O louee concepcion

Envoiee sa jus des cieulx…

Le Jivaro – Tu veux la vérité ? Je ne les comprends pas.

Moi – Voilà ! Et si tu prends un texte de Montaigne, tu comprendras mieux, mais les mots et l’orthographe te sembleront encore étranges. Et, j’ajoute cela pour ceux qui se soucient des accents, que Victor Hugo écrivait encore poëte…

Le Jivaro – Ce qui serait considéré aujourd’hui comme une faute.

Moi – Il est rassurant de constater que c’est finalement l’usage qui est en la matière le juge final, et pas tel ou tel organisme plus ou moins officiel.

Le Jivaro – Tu penses à l’Académie française ?

Moi (souriant) –Tu crois ? Il est vrai que j’ai toujours trouvé étrange que la France, qui veut développer l’usage international du français, prétende régenter cette langue comme si elle lui appartenait seule, par le biais de l’Académie. Je comprendrais mieux cette prétention s’il s’agissait de l’Académie du français… Mais je reste dubitatif devant sur le rôle de l’Académie. Rousseau disait que, « … pour rendre bientôt une langue froide et monotone, il ne faut qu’établir des académies chez le peuple qui la parle ».

Le Jivaro – Ah, Rousseau, que tu admires tant…

Moi – Oui. Sais-tu sais que, lorsqu’on a introduit dans la Constitution, en tête de l’article 2, la disposition selon laquelle « la langue de la République est le français », on avait songé tout d’abord à une autre phrase ; « le français est la langue de la République » ?

Le Jivaro (dubitatif) – Je ne savais pas, mais quelle importance ?

Moi – Et la Belgique ? Et le Canada ? La population de ces pays est francophone, au moins en partie, mais ce sont des monarchies. Toujours cette idée que le français appartient aux Français seuls !

Le Jivaro – Je me trompe en pensant que tu es plutôt favorable à la simplification de l’orthographe ?

Moi – Non, tu as raison. Bien sûr (tu vois !), nénufar me paraîtra bizarre et sans doute continuerai-je à écrire nénuphar. J’aurai probablement la nostalgie de la langue que j’ai apprise et pratiquée jusqu’ici. Mais aller vers une orthographe plus proche de la langue parlée me paraît un progrès : n’est-ce pas le cas de l’italien, qui s’écrit tel qu’on le parle ? Et la dyslexie est particulièrement rare en Italie… Et je dis bien un progrès, à l’inverse de ceux qui y voient une régression, une concession à la facilité, car nous allons ainsi vers une langue vraiment commune à tout le monde.   Et puis, rien ne m’empêche de faire comme Chateaubriand…

Le Jivaro – Un autre écrivain que tu admires.

Moi – Oui… Il approuvait, au moins en partie, la réforme de l’orthographe de 1835 – qui rapprochait l’écrit de l’oral, déjà ! - et continuait à écrire comme il l’avait toujours fait. C’est Maurice DRUON, Secrétaire perpétuel de l’Académie française, qui disait cela en 1990 !



[1] Organisation de coopération et de développement  économiques. Le club des pays riches, en quelque sorte.

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